Réconcilier savoirs paysans et académiques pour améliorer la productivité des cultures négligées et ou sous-utilisées telles que le pois de terre, le fabirama, le bissap, c’est le pari que le projet Sustlives s’emploie à relever. Dans cet entretien, le coordonnateur de l’équipe pluridisciplinaire de l’université Joseph -Ki-Zerbo du projet Sustlives, Pr Jacques Nanena présente plus en détails les objectifs et les résultats engrangés après 3 ans.
Sidwaya (S.): Présentez-nous le projet Sustlives
Jacques Nanema (J.N.) : Initié en 2019, Sustlives a été retardé par la COVID/19 et lancé en 2021 pour une durée de 4 ans dans une dynamique multi-acteurs Nord-Sud. Il s’agit d’un projet de recherche pluridisciplinaire, car il mobilise des chercheurs aussi bien en sciences de la vie et de la terre, en agronomie, qu’en sciences humaines, des étudiants-chercheurs de niveau master et doctorat.
Mais, c’est aussi un projet d’action et de formation parce que sur le terrain, il y a de l’écoute et de l’accompagnement des autres acteurs des filières identifiées, notamment les paysans, les transformatrices, les associations qui travaillent dans le domaine des cultures négligées et ou sous-utilisées (NUS). La collaboration avec les paysans a permis aux chercheurs d’avoir accès à leurs connaissances endogènes sur les semences, puis de les organiser en réseaux en vue d’une meilleure conservation, circulation et promotion des semences.
Le projet a réalisé des sessions de renforcement de capacités avec des formateurs d’Afrique et d’Europe sur des questions pointues. Sustlives a aussi contribué à créer une masse critique de personnes-ressources capables véritablement de poursuivre la dynamique au-delà du projet.
S. : Quels sont les objectifs visés par le projet Sustlives ?
J.N. : L’objectif général du projet est de favoriser la transition vers un système agricole et alimentaire durable et résilient au changement climatique pour la sécurité alimentaire et nutritionnelle. Le changement climatique a complètement bouleversé notre agriculture. Cela se traduit par plus de difficultés à atteindre l’autosuffisance alimentaire, car les sols sont souvent dégradés. Le milieu rural perd ses bras valides, ses savoirs, mais aussi parfois ses semences.
L’ambition de ce projet est donc d’identifier les meilleurs chemins par lesquels améliorer la productivité des NUS et leur contribution à la sécurité alimentaire, car, elles sont prisées par les consommateurs notamment de mets locaux. Ces cultures méritent véritablement l’attention à la fois des décideurs, mais aussi des chercheurs, des commerçants, des associations de consommateurs, de transformateurs et des différents projets de développement, car autour d’elles, il y a une véritable économie qui est à développer.
Imaginez tout simplement la quantité de bissap vendue aux élèves des collèges et lycées de Ouagadougou ou encore les quantités de pois de terre ou de Babenda vendues dans cette ville et vous verrez que ces cultures sont importantes et rentables pour de nombreuses personnes. Il y a des opportunités pour nos paysans, les autres acteurs de la chaîne de valeurs de ces cultures, pour les femmes et les jeunes étudiants soucieux d’entreprendre. Pour cela, il faut promouvoir ces cultures qui nous débarrassent des dangers des engrais chimiques.
Ce projet a donc une utilité multiple à la fois pour les générations actuelles, mais aussi pour qu’à l’avenir, nous retrouvions tout le potentiel de nos sols et de nos paysans, mémoire précieuse des pratiques agroécologiques anciennes pour une alimentation saine, riche et soutenable. Les paysans ont des savoirs, mais, ils ont besoin d’être écoutés, compris, accompagnés et mis en relation avec les chercheurs détenteurs de compétences et les jeunes sortant de l’université pour de meilleures pratiques de production, de conservation et de transformation.
La rencontre de ces deux types de savoirs (scientifiques et paysans) permet une remise en perspective de notre développement rural. Réussir à relier les acteurs dans la même filière depuis le champ jusqu’à la table en passant par le marché, telle est la plus-value de ce projet pertinent pour le Burkina et le Niger.
S. : Quelles sont les zones d’intervention du projet au Burkina ?
J.N. : Au regard du contexte sécuritaire, nous avons dû limiter la zone d’intervention du projet à un rayon de 100 kilomètres autour de Ouagadougou. Nous avions une ambition plus grande, mais finalement, nous avons concentré nos actions dans les provinces du Kadiogo, de l’Oubritenga, du Bazèga et du Boulkiemdé.
S : Quels sont les grands résultats auxquels vous êtes parvenus ?
J.N. : Dans le cadre du projet Sustlives, nos chercheurs ont reproduit des semences qu’ils ont mises à la disposition des paysans/producteurs. En plus, les sessions de formation ont permis aujourd’hui de constituer une masse critique de personnes de ressource en matière de cultures négligées et ce sur tous les segments. Des étudiants-chercheurs ont acquis des compétences, des publications scientifiques ont été réalisées par les enseignants-chercheurs, nos universités sont reconnues, considérées à l’international, les acteurs des filières sont en relation.
Nous avons construit et adossé au projet au Burkina et au Niger ce qu’on appelle le « forum des parties prenantes » composé des principaux acteurs, des personnes-ressources, des OSC, ONG, sans oublier la participation des directions provinciales du ministères en charge de l’agriculture, qui travaillent sur ces cultures négligées et/ou sous-utilisées. Il y a quelque chose d’essentiel, de crucial et stratégique qui se joue ici parce que nous avons réussi à réunir la majorité des acteurs.
Sustlives est aussi un projet qui s’enracine vraiment dans le terrain par le biais des acteurs de terrain qui ont une expertise avérée et peuvent assurer une durabilité aux actions. Sustlives a permis aussi à l’université Joseph-Ki-Zerbo, à travers son Bureau de transfert de technologies-incubateur d’entreprises (BTTI) de lancer 2 appels à candidatures pour recruter et soutenir des projets d’étudiants et/ou d’entrepreneurs (femmes) ayant des projets pertinents dans le domaine des NUS (soutien financier et capacitation technique).
S. : Quelles sont maintenant les prochaines étapes ?
J.N. : En octobre prochain, en Italie (à Bari), nous avons une réunion de bilan de l’année 3 du projet et des perspectives pour la suite. Je ne veux pas aller trop vite en besogne, ni parler à la place d’autres instances, mais au cours de cette réunion, nous allons faire une sorte de revue collective de ce qu’on a déjà réalisé et de ce qui nous reste à faire pour la dernière année du projet.
Nous sommes en train de préparer d’autres projets qui vont prolonger la dynamique de Sustlives et mettre à l’échelle hors du périmètre actuel du projet si cela est possible. Ce projet a du sens et de la pertinence et mérite d’être plus connu et plus soutenu comme étant une sorte d’opportunité en matière de recherche, d’action, de formation, de recherche-action et de recherche-développement dans le Sahel.
S. : Que faudrait-il faire selon vous pour pérenniser les résultats du projet Sustlives ?
J.N. : L’un des enseignements de ce projet est que les ministères en charge de l’environnement, de l’agriculture, de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation, de la formation professionnelle et de la jeunesse et celui de la santé devraient plus coopérer pour que les différentes compétences scientifiques, techniques et sociales, les différents savoirs et disciplines scientifiques, universitaires convergent plus et mieux, pour développer une résilience systémique, holistique.
On a un potentiel incroyable qu’il faut redécouvrir, reconstruire, co-construire et remettre en perspective contre cette crise climatique devenue une crise multiforme source de vulnérabilité sociale. Ces cultures plus ou moins négligées ou sous-utilisées qui n’ont pas toujours fait le centre d’intérêt de la recherche officielle focalisent de plus en plus notre attention et permettront de déjouer le piège de la précarité, de viser avec plus de certitude et de sérénité la sécurité alimentaire pour nos populations (rurales).
Entretien réalisé par Nadège YE